Smart data, programmatique, e-CRM, personnalisation : les nouveaux paradigmes des Industries culturelles et de la communication.
Alexis Brézet – Directeur des rédactions du groupe Le Figaro
Sur la question de la valorisation des contenus, Alexis Brézet considère qu’au Figaro, ces enjeux ne sont en aucun cas sous-estimés. « La valeur est un graal après lequel on court ». Ainsi, pour le Directeur des rédactions du groupe, tout ce qui peut contribuer à ramener de la valeur aux contenus est important : d’une part, monétiser l’audience, adresser les messages publicitaires aux bonnes personnes. D’autre part, développer les recettes traditionnelles parallèlement aux abonnements numériques.
Ainsi, Le Figaro s’est lancé dans deux chantiers, actuellement en cours :
– la valorisation des contenus par la data : aujourd’hui, il n’existe pas une opération spéciale dans laquelle n’entre pas un volet data.
– la recherche d’abonnés numériques : le Figaro a lancé sa « zone premium » il y a six semaines, laquelle affiche aujourd’hui de bons résultats, plus de 5 000 abonnés, et un taux de conversion de 88%.
Concernant le premier chantier, Alexis Brézet insiste sur l’importance du contenu pour favoriser la valorisation. La qualité est l’élément fondamental que le média presse a l’opportunité de valoriser. Les lecteurs sont submergés d’informations, de toutes sortes et provenant de sources multiples. C’est pourquoi, Alexis Brézet considère que les marques de presse, notamment Le Figaro, doivent valoriser la qualité de leurs contenus.
Par ailleurs, au Figaro, comme dans les autres titres de presse, il existe une course à la quantité, à la production, et ce depuis l’arrivée du nouveau média Internet. Cette course à la quantité est toujours maintenue actuellement (dans le Figaro, plusieurs rubriques ont vu le jour, dont les rubriques immobilier,
jardin, etc.) et doit se jouer parallèlement à la course à la qualité. Alexis Brézet estime que le défi de la transformation bi-média d’une rédaction est de motiver les journalistes à écrire à la fois pour le print et pour le web.
Mais la vraie bataille est celle de la qualité : une information originale, rigoureuse, un point de vue. Il s’agit d’une bataille essentielle pour le papier, mais aussi pour les versions numériques. Ainsi, le web gratuit est et doit être un média de qualité. La qualité sur le web gratuit est un élément décisif dans la bataille qui s’annonce difficile. Mais la qualité sur le web c’est également le choix du bon format. Une bonne vidéo, une vidéo infographie, etc, participent pour le lecteur à la qualité de rédaction. Une qualité qui est en somme liée au choix du bon format d’écriture. Et un bon format d’écriture qui est lui-même lié au support. La question que pose Alexis Brézet repose sur la meilleure manière d’adapter les productions aux différents supports et aux attentes des lecteurs : quelle hiérarchie, quelles informations, pour quels supports ? Il exige ainsi d’adapter ses contenus et leur mise en scène pour les différents supports, mais aussi de mettre en place une équipe pour gérer cette adaptation des contenus en mobilité. Au final, il s’agit donc d’un défi du format, du fond, et de l’usage à proposer au bon moment.
Alexis Brézet termine sur une dernière dimension qui favorise la valorisation des contenus : la qualité de la relation de confiance qui unit les marques de presse à leur lecteurs. Celle-ci est décisive. Les marques de presse ont leur histoire, leurs qualités, leurs défauts, mais toutes ont nourrit un lien de confiance avec leur lectorat. Ce lien suppose de cultiver une forme d’exigence et de fiabilité, cultiver son indépendance (avec des positions éditoriales qui sont le fruit d’une vraie conviction), cultiver la clarté de la relation entre les lecteurs et les marques. Si ce lien est rompu, les techniques de valorisation d’audience ne serviraient plus à grand chose.
Pierre Conte – PDG de Groupe M
Pour Pierre Conte, président-directeur général de Groupe M, le maître mot est « premium ». En effet cette notion remonte dans toutes les préconisations et est intimement liée à la convergence numérique. Le positionnement haut de gamme d’un produit permet de le vendre à un prix plus élevé mais permet également d’attirer un plus grand nombre d’annonceurs. Toutes ces idées amènent à la notion de « brand safety » ; la marque s’assure de ne pas apparaître dans un environnement qui pourrait présenter un risque pour son image. Pierre Conte considère l’évolution digitale des grands médias et notamment le travail effectué par Alexis Brézet au Figaro comme l’exemple à suivre pour les clients de Groupe M. Le PDG du groupe considère également le dialogue comme étant une des clés du succès, favorisant la compréhension par ses clients du modèle des principales marques médias.
Pierre Conte est très enthousiaste au sujet de la technologie et de la Data considérant les changements qui s’opèrent aujourd’hui comme un multiplicateur formidable des opportunités de valoriser son contenu. Pour lui, consommer un média est d’abord et avant tout un comportement et le programmatique un gisement marketing inépuisable pour les annonceurs. Il voit ainsi un point de convergence vertueux pour les annonceurs et les médias entre l’exigence du premium, la technologie et la Data. L’étape de mise en place technologique est dépassée, aujourd’hui la consommation numérique est mature et installée. La véritable question est de savoir si le programmatique qui a montré un éventail de possibilités infinies arrivera sur les médias traditionnels. Selon Pierre Conte, C’est peu probable dans la presse mais beaucoup plus réaliste et souhaitable pour la télévision et la radio. Il faut voir ces évolutions avec optimisme, comme un gisement vertueux entre le premium et la Data et embrasser ces nouvelles technologies en les mettant au service des annonceurs et des grands médias.
Olivier Abeccassis – Directeur général d’e-TF1
Aujourd’hui le groupe TF1 cherche d’autres sources de revenus et c’est ainsi que l’idée de créer un Netflix à la française est née. Le nouveau My TF1 propose de valoriser sur Internet les contenus de la télévision gratuite. En effet, pour Olivier Abeccassis, directeur général de e-TF1, la publicité ne peut pas être le seul moyen de valoriser le contenu. Pour lui, même si le marché reste relativement fiable les annonceurs ne sont pas prêts à acheter n’importe quoi. Il n’y a pas de doute sur l’essor et la continuité du marché publicitaire notamment avec la vidéo online pour le groupe TF1. C’est en ce sens que My TF1 souhaite refonder son service de replay vers une expérience avec plus de contenus et de fonctionnalités. Certains contenus ne permettent pas une valorisation par le biais de recettes publicitaires, c’est pourquoi My TF1 oriente sa stratégie de valorisation vers une plateforme payante. La conviction du groupe TF1 est qu’il n’existe pas de réponse unique à la question de la valorisation des contenus mais que les annonceurs ne peuvent pas financer tout et n’importe quoi. Il faut donc proposer des produits qui correspondent à leurs attentes.
Pour Olivier Abeccassis, on retrouve des comportements communs entre broadcast et digital avec des cibles cohérentes. Globalement My TF1 est peut-être un peu plus jeune, un peu plus féminin et un peu plus CSP+ mais il remarque que les succès d’antenne sont également des succès My TF1. La grande différence avec le broadcast réside dans la consommation du produit puisque celle-ci se fait à des moments différents avec un usage diffèrent. En 2016, Médiamétrie verra évoluer son système de mesure d’audience sur Internet notamment avec l’intégration du replay dans le Mediamat. Ces évolutions permettent d’avoir une meilleure connaissance des cibles et une capacité à mieux les qualifier. Ces nouveaux usages s’installent progressivement et My TF1 doit encore faire la démonstration de son savoir-faire.
Thierry Camas – Vice-président et directeur général de MTV France/Viacom
La télévision payante pose le problème de la valeur et de la façon dont on la détermine. Pour Thierry Camas c’est le programme qui est la réponse à cette question indépendamment de son circuit de distribution. Le programme doit avoir valeur d’inédit, représenter une innovation éditoriale ou encore avoir une valeur en termes d’accessibilité. Un programme qui serait la copie d’un autre ou qui serait présenté dans un environnement peu engageant n’aurait donc pas de valeur. Le fond du débat autour de la valorisation est le contenu en lui-même. Pour le vice-président et directeur général de MTV France, on assiste aujourd’hui à une montée en gamme des contenus audiovisuels. L’hyper-profusion de contenus a habitué le consommateur à avoir accès à l’ensemble des contenus. Mais devant cette profusion d’images, l’innovation devient le levier principal qui permettra à un programme de s’élever au-dessus des autres. Paradoxalement, la multiplication des contenus a engendré dans certains pays une très forte progression du prix des programmes.
En termes de contenu audiovisuel, il est préférable d’être propriétaire du programme pour le valoriser au maximum.
De cette façon, le storytelling de ces contenus peut être défini sur les différentes plates-formes de distribution. On retrouve alors deux critères qui entrent en jeu : « est-ce que la valeur du programme est optimisée auprès du public ? » et « est-ce que le programme a atteint son potentiel de monétisation maximum ? ». Pour Thierry Camas, si la réponse à ces deux questions trouve une réponse positive, le groupe MTV a trouvé la combinaison idéale pour valoriser au mieux ses acquisitions. Le modèle n’est cependant pas immuable, Nickelodeon diffuse par exemple des programmes en gratuit sur TF1 alors que les séries diffusées sur MTV ne sont jamais diffusées sur la télévision gratuite. L’enchaînement des plateformes doit maximiser la valeur du contenu.
Aujourd’hui Viacom est le seul groupe audiovisuel à avoir une régie publicitaire indépendante. La logique de commercialisation du groupe se veut simple et divisée en 4 étapes. D’abord, la commercialisation du GRP TV ; Dans un second temps ou parallèlement à la première étape, la commercialisation du CPM sur Internet ; Viennent ensuite les événements et autres opérations de terrain et enfin vient l’étape de développement de la Data. Ce dernier aspect est essentiel puisqu’il vient additionner l’engagement des réseaux sociaux, l’engagement sur le terrain et la Data qualifiée pour offrir une relation enrichie avec les annonceurs.
Stéphane de Miollis – Directeur de la Stratégie et du Développement du Groupe AMAURY
Le groupe Amaury gère lui aussi toutes les problématiques de plateformes numériques et la question de la commercialisation des contenus selon leur nature. L’enjeu de valeur réside dans la possession des bonnes données et ce afin de bien délivrer le message au bon consommateur, sur le bon support et avec le bon contenu. C’est une problématique d’autant plus importante qu’il existe une multiplicité de sources d’information qu’il faut prendre en considération dans le groupe Amaury. Il s’agit d’un chantier technique et culturel très important.
C’est un chantier de savoir-faire également, qui émerge avec l’apparition des nouveaux métiers de data scientists. Ces derniers ont découvert de nouvelles données qui ont permis d’apprendre le véritable comportement des consommateurs afin de ne plus se baser sur le déclaratif, pas toujours fiable. Ainsi, la bonne offre peut être proposée.
On rentre alors dans une autre partie peu connue, celle de la transaction. Ce n’était pas dans la culture du groupe, alors Amaury a cherché un système en Angleterre : acheter un contenu en un clic. Un certain nombre d’offres a ensuite été déployé, et tous les types d’offres existantes sont proposées aujourd’hui par le groupe : toutes les opportunités sont bonnes pour vendre le bon contenu. Ainsi, plus de 100 000 personnes ont acheté un contenu payant sur la plateforme payante du groupe. Le client attend de l’hyper-personnalisation, c’est une étape sur laquelle le groupe est en train de travailler avec des start-up. La donnée, la transaction, la capacité d’adapter le contenu en fonction des attentes, tout cela permet de meilleures dispositions au moment du paiement.
Benoit Sillard – PDG de CCM Benchmark
Benoit Sillard a précisé en introduction que CCM Benchmark était un Pure Player, ce qui est à la fois un avantage (ne se soucie pas des problématiques de transformations culturelles de sa rédaction) et un inconvénient (ne bénéficie pas d’une présence multimédia).
Dans le cadre de la valorisation des contenus auprès des annonceurs, il note que la commercialisation publicitaire a connu une évolution majeure ces dernières années puisqu’ « on est passé de la vente d’espace – héritée des anciens médias – à la vente de profils . Un domaine dans lequel Google et Facebook ont été précurseurs ».
Le secteur de la valorisation est selon Benoit Sillard « très contrasté » avec des succès importants mais aussi de nombreux dépôts de bilan. Pour lui, « les acteurs qui ont du succès sont ceux qui ont vite compris qu’il fallait croiser les données identitaires et les données comportementales », ce qui représente un « changement de paradigme spécifique à Internet » car désormais le web permet de « toucher tout le monde mais avec des messages différents pour le père, la mère, la fille… »
Il observe aussi que les 2 premiers acteurs du marché (Google et Facebook) sont ultra-dominants puisqu’ils se partagent 80% du chiffre d’affaires publicitaire sur Internet qui représente environ 2 milliards d’euros. Dans ce contexte, il juge qu’il est nécessaire aux médias d’obtenir « un minimum de régulation pour éviter le monopole des grands acteurs et les abus de positions dominantes ».
Pour créer de la valeur le ROI prend de plus en plus de place. Cependant, il reste essentiel d’exposer de la publicité autour d’une marque-média de qualité sur un support de qualité.
Philippe Cardon – Vice President Europe & PDG France / Benelux de Sony PlayStation
Philippe Cardon a rappelé que Playstation France joue à la fois un rôle de constructeur, d’annonceur, de distributeur de contenus, et de gestionnaire d’une banque de données. C’est un éditeur mais aussi un opérateur qui gère une boutique en ligne avec du contenu téléchargeable (tous les contenus de tous les éditeurs de jeux vidéo).
Concernant le Playstation Network, Philippe Cardon précise qu’« à la différence des autres acteurs, il s’agit d’un écosystème qui se suffit à lui-même » et dans lequel « on ne monétise pas en vendant de l’espace car le financement de la création de valeur se fait de manière autonome ».
Playstation France utilise toutefois les médias pour faire la publicité de ses produits. Dans ce cadre, il note que « la création de valeur pour nous est dans l’attractivité que la marque va exercer auprès des cibles » car « une fois que le joueur est dans l’environnement on peut en retirer beaucoup de données de comportement à partir desquels on peut élaborer des offres personnalisées ». Pour Philippe Cardon, ce modèle offre un cercle vertueux permettant de « pousser auprès des joueurs le meilleur contenu, édité par Sony ou non ».