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Curzon Cinemas, le e-Cinéma autrement

Chaîne de cinémas historique créée en 1934 au Royaume-Uni, Curzon compte aujourd’hui 10 établissements, situés pour l’essentiel à Londres. Spécialisé dans les films d’Art et d’Essai, Curzon tient sa singularité dans son modèle économique, celui d’une intégration verticale[1] (à la fois producteur de films, distributeur salles, DVD, VàD…), et sa perpétuelle recherche de nouvelles voies pour l’exploitation d’œuvres le plus souvent limitées à une distribution confidentielle.
BT Une démarche qui a conduit Curzon àexpérimenter le « e-Cinéma », pratique qui consiste à faire d’internet la première fenêtre d’exploitation d’une œuvre, dès 2008. Mais à la différence des tests réalisés en France par TF1 Vidéo[2] et Wild Bunch, pour lesquels la fenêtre e-Cinéma vient en remplacement de l’exploitation traditionnelle sur grands écrans, il s’agit ici d’une distribution simultanée avec une présence à la fois dans les salles obscures et sur la plate-forme de vidéo à la demande du groupe, Curzon Home Cinema (CHC). Les films concernés voient ainsi leurs sorties salles et VàD (locative uniquement) alignées sur une même date (Day-and-Date) et un tarif unique. Limitée à quelques œuvres seulement (moins de 5) au début de l’expérimentation, la pratique du Day-and-Date a depuis été généralisée par Curzon à une cinquantaine de films par an. Il faut compter 10£ (13,90€) pour la location numérique d’une œuvre à l’affiche. La location du film porte sur 48h. Son visionnage se fait en streaming et nécessite une connexion internet de 2 Mbits/s a minima. Au-delà des œuvres  estampillées e-Cinéma, le catalogue de CHC est enrichi de plus de 600 films et documentaires indépendants sélectionnés avec soin par une équipe d’experts. Les contenus récents sont proposés à 4£ (5,60€). Les plus anciens à 2£ (2,80€). A noter que les clients des salles de cinéma Curzon bénéficient de 15% de remise sur l’ensemble des films disponibles à la location.

Curzon Home Cinema est aujourd’hui disponible sur le web, sur écrans mobiles via une application dédiée mais aussi sur téléviseurs à travers des partenariats avec les constructeurs (Samsung), les opérateurs (BT TV, FreeSat) ou encore les acteurs OTT (Fire TV d’Amazon). Une stratégie d’hyper-distribution et une accessibilité multi-écrans qui collent avec la volonté du groupe de donner une visibilité maximale au cinéma d’Art et d’Essai tout en l’inscrivant dans l’air du temps voire au-delà. “I’m not going to be a friend of the multiplex cinemas because what I’m advocating is a complete shift in the way people watch films. I believe that in the next four or five years, much of what we watch will be available simultaneously in cinemas and at home”, prédit Philip Knatchbull, Directeur général de Curzon. En alignant sorties salles et VàD, CHC propose une expérience disruptive, laissant au spectateur une totale liberté de choix quant au lieu et au support de consommation des œuvres, en s’affranchissant désormais des contraintes de temps. Car si contrairement à la France, la chronologie des médias ne relève pas de dispositions réglementaires au Royaume-Uni mais d’accords établis de gré à gré, elle n’en respecte pas moins un ordre et des délais. En faisant bouger les lignes, Curzon démontre sa capacité à se servir d’internet comme d’un mode de distribution complémentaire et non concurrent. Les deux modes d’exploitation ne s’affectent pas l’un l’autre, ils se complètent pour offrir la meilleure expérience possible au spectateur. La plate-forme du groupe a ainsi vu son audience doubler ces derniers mois quand, dans le même temps, la fréquentation salles a été telle que Curzon prévoit d’élargir son réseau de cinémas à raison de trois ouvertures par an en moyenne.

Au lancement de sa plate-forme de vidéo à la demande, Curzon a bénéficié du soutien des institutions européennes à travers le programme MEDIA (400 000 euros en 2012). Un programme qui, au-delà des aides financières qu’il peut apporter pour toutes les étapes de production, distribution ou promotion des films, travaille sur l’expérimentation de nouvelles formes d’exploitation dans le cadre de son action sur la circulation des films à l’ère du numérique. Trois expérimentations sont ainsi financées à date : The TIDE Experiment, Speed Bunch et EDAD (coordonnée à l’échelle européenne par Curzon). Toutes doivent permettre de bénéficier d’une visibilité plus importante, de contourner les difficultés de circulation des œuvres et d’améliorer leurs conditions de rentabilité. Si certaines de ces initiatives semblent porter leurs fruits à l’image de Curzon Home Cinema, il n’en reste pas moins qu’elles se limitent aujourd’hui au cinéma d’Art et d’Essai dont la dépendance vis-à-vis de l’exploitation salles s’avère nettement moins marquée que pour les productions « mainstream ».

Si le cinéma indépendant multiplie donc les expérimentations, reste à savoir combien de temps le cinéma grand public, porté par les majors d’Hollywood pourra résister alors que la pression des acteurs OTT, à commencer par Netflix remet chaque jour un peu plus en cause le système traditionnel de la distribution en salles.

[1] Vidéo de présentation : Curzon – Redefining Cinema

[2] Cf. Flash 754 : TF1 Vidéo lance son premier film en e-Cinéma