Google a créé la surprise à la fin du mois de septembre en annonçant le rachat de l’entreprise américaine Jibe Mobile, spécialisée dans les communications IP et plus précisément dans le standard de communication RCS, supporté par les opérateurs mobiles pour remplacer à terme les SMS/MMS. Alors que le RCS (plus connu sous l’appellation Joyn, son nom commercial) était censé repositionner les Telcos sur le marché de la messagerie instantanée face aux applications OTT des géants du web, l’opération de Google peut être perçue à première vue comme un défi lancé aux opérateurs. C’est sans-doute aussi une opportunité pour faire décoller le nouveau standard, et surtout un moyen pour Google de concurrencer Apple.
Le RCS (Rich Communication Service) est une spécification technique adopté par le GSMA dès février 2008. Mais il a fallu attendre 2012 pour qu’il se concrétise sous la forme d’un service commercial, Joyn, grâce à l’engagement des principaux opérateurs européens, Vodafone, Orange, Deutsche Telekom, Telefonica… Le RCS incarne trois enjeux majeurs pour les opérateurs de télécommunications :
GSM Association, Rich Communication Suite White Paper
Malgré l’importance des enjeux, le RCS ou plus précisément sa déclinaison commerciale Joyn, reste confronté à de nombreux défis. Les deux principaux sont liés à son adoption massive par l’ensemble de l’écosystème. Pour fournir sa pleine mesure, Joyn doit ainsi être intégrée nativement dans les Smartphones. La coopération des constructeurs est donc nécessaire. Or à l’heure actuelle, malgré l’accord des principaux noms de l’EGP, les modèles commercialisés sont peu nombreux. 41 terminaux précisément, chez HTC, LG, Nokia, Samsung et Sony. Dans les faits, les nouveaux services des opérateurs sont donc limités à un parc restreint de leurs abonnés. Ensuite, l’interopérabilité des services Joyn nécessite que le standard RCS soit adopté par l’ensemble des opérateurs. Et là encore, malgré le support des Telcos les plus importants, notamment en Europe, il manque de nombreux acteurs. Globalement, 41 opérateurs dans 32 pays ont adopté le RCS (chiffre de novembre 2014, la GSMA en attend 87 d’ici la fin de l’année 2015). Mais la situation est contrastée en fonction des marchés. En France, seuls Orange et SFR proposent des services Joyn. Bouygues Telecom et Free n’ont pas suivis. La situation est plus satisfaisante en Espagne ou en Allemagne grâce au poids respectifs de Telefónica, Vodafone et Orange et de Deutsche Telekom, Vodafone et Telefónica, mais à chaque fois il manque un ou des acteurs (E-Plus en Allemagne, Yoigo en Espagne). Concrètement, l’adoption du RCS progresse et même de manière rapide et notable sur certains marchés (Sprint a rejoint Verizon, AT&T et T-Mobile aux Etats-Unis) mais ne représente pas encore, loin s’en faut, un standard universel.
Google arrive donc sur le RCS par le biais du rachat de Jibe Mobile, un acteur important de l’écosystème. Il propose deux solutions majeures : une plate-forme Cloud qui permet le partage et l’interopérabilité des services Joyn entre opérateurs et clients qui utilisent le protocole RCS et ceux qui ne l’utilisent pas ; un hub d’interconnexions qui permet aux différents opérateurs utilisant le RCS de s’interconnecter sans avoir besoin de créer chacun leurs propres nœuds d’interconnexions à l’intérieur de leurs réseaux. Ces deux solutions sont labellisées par la GSMA et Jibe compte des clients importants comme Deutsche Telekom (en Albanie, Roumanie, Slovaquie), Sprint, Vodafone ou SFR. Le rachat de Jibe Mobile par Google, dont l’OS Android équipe désormais plus de 80% des Smartphones livrés dans le monde (IDC) est donc en soi un évènement potentiellement important pour l’avenir du RCS. Si la stratégie de Mountain View n’a pas encore été clairement exprimée, plusieurs analyses sont déjà possibles :
Mais côté face, Google peut vite devenir un partenaire encombrant pour les Telcos. Avec non seulement un contrôle d’une partie de leur backbone IP lié au RCS mais en plus avec une tendance fâcheuse à perturber les modèles d’affaires. Si Google profitait d’une intégration dans Android pour proposer gratuitement de nouvelles applications RCS, la monétisation des services Joyn par les opérateurs deviendrait plus compliquée.
Quoi qu’il en soit, la dernière acquisition de Google comporte de toute façon un point positif pour les opérateurs. Malgré une tendance majeure au basculement plus ou moins rapide vers le tout IP, les géants d’internet reconnaissent que les technologies et les infrastructures des Telcos peuvent apporter une qualité d’expérience supérieure à celle des applications OTT.